mardi 16 février 2010

2001-2010

Juliette et moi avons beaucoup discuté ces temps-ci au sujet du dire et du taire des souffrances du corps et de l'âme. Outre ses hésitations à assumer l'envie de me faire part de ses angoisses, nous sommes également revenus sur le fait que je ne lui avais pas annoncé tout de suite, il y a bientôt neuf ans, que j'étais malade. Elle m'a redemandé le texte que j'avais commencé à écrire à l'époque sur cette expérience, tentant de mettre un peu de distance (distance que je n'ai jamais comblé tout à fait depuis et qui s'est d'ailleurs étendue à d'autres aspects de ma vie) entre la maladie et moi, avec le luxe incroyable d'être atteint d'un des cancers les plus soignables qui soit.

Je repense d'autant plus facilement à tout cela ces temps-ci que je suis à nouveau entré dans le toujours (un peu) angoissant temps des examens de contrôle. J'ai fait aujourd'hui une radio thoracique, à peu près normale, signalant juste l'œuvre de la radiothérapie (ce que mon hématologue me confirmera), et j'ai à l'instant récupéré les résultats de la prise de sang qui ne signalent rien d'alarmant, une seule petite augmentation de la VS, sans doute pas suffisante pour faire tiquer le médecin. A peine de quoi me faire gamberger à l'occasion des affaissements psychiques qui, à l'occasion, traversent mes journées.



Juillet 2001 :

Cette boule inédite dans le creux de l'aisselle qui m'avait fait dire à Jean-Philippe dans un rire clair, le soir de mon anniversaire, que ce petit amas (graisseux ? musculaire ?) serait sans doute l'occasion d'une nouvelle maladie, cette boule est exhibée le 11 juin 2001 à mon généraliste qui trahit une première fois son inquiétude et alimente la mienne, rendant inopérants mes espoirs d'hypocondrie, par un regard soucieux, et une seconde fois - par une belle journée initialement flâneuse - en me prescrivant une prise de sang et une radiographie des poumons. En fin d'après-midi, les résultats sanguins me sont tendus par une jeune femme alarmée et, la ville traversée, le radiologue m'invite à le suivre dans son bureau où il commente les radios des poumons sur lesquels, en bon fumeur, je crains de voir apparaître des taches, inquiétudes qu'il dissipe aussitôt, nerveusement et malhabile, pour en créer de nouvelles - maudit médecin qui s'obstine à ne pas répondre à mes questions précises - me désignant sur les clichés des opacités s'étiolant en cheminée au milieu de mes poumons et qui pourraient être (" mais ne nous alarmons pas de riens, un scanner est nécessaire ") des adénopathies - des ganglions très gonflés, précise-t-il. Je retourne chez mon médecin avec des globules blancs dont l'augmentation - très inquiétante m'a-t-on répété au laboratoire -, trahit la présence d'une infection ou d'une inflammation, et une cheminée de ganglions. Le lendemain, deuxième prise de sang pour recherche de cytomégalovirus ou de l'HIV. Résultats négatifs qui tomberont en fin de semaine, le jour du scanner qui, quant à lui, confirmera la présence de ganglions d'un volume important et, pour certains, en triste état.

[...]

Mon généraliste tente de joindre devant moi le service d'hématologie de Cochin pour m'y faire admettre. Il a le combiné en main, personne ne répond et j'hésite, je me demande si j'aurai le courage d'entendre la réponse à cette question qui depuis ce matin me taraude, depuis, en fait, que sur Internet, j'ai vu quelles maladies évoquaient mes symptômes. Est-ce qu'il s'agit d'un lymphome ? Drôle de sourire un peu gêné du médecin qui raccroche et s'entête presque à pressentir une sarcoïdose. Il me répond que je serai sans doute plus mal en point si tel était le cas. Dont acte. Peut-être une maladie de Hodgkin. Le lendemain, déposé par Greg chez qui j'ai passé la nuit, je me présente aux urgences de Cochin - le généraliste n'ayant pas réussi à joindre le service d'hématologie la veille - muni de mes radio, scanner, bilans sanguins et lettre d'introduction du médecin. Une entrée à l'hôpital par la petite porte. J'attends huit heures en compagnie d'une intuitive femme de cinquante ans qui me parle d'elle ou de ses enfants lorsqu'un retour de mon esprit à l'angoissant présent rosit mes joues et rend mon regard trop impavide, attente étrange et confuse pour que finalement, dans un box, une jeune interne me repose les mêmes questions dont je devine les tenants. Elle fait longuement glisser mon ganglion sous-axillaire droit entre ses doigts comme un prélude à l'érotisme hospitalier, en décèle d'autres dans le cou, revient sur le premier, me pose d'autres questions sur un ton qui se voudrait badin, prend abondance de notes, s'absente, me malaxe les seins pour finalement annoncer dans un soupire contrit au malade que je suis devenu en quelques jours et définitivement estampillé à cet instant que, faute de place, je vais être admis à la Pitié-Salpêtrière, que dans une heure environ une ambulance m'y conduira. Devant son air navré (" Vous n'avez sans doute pas d'affaires avec vous ? "), je ne peux m'empêcher d'arborer une espèce de sourire idiot parce que bienveillant et inadapté aux circonstances (" si, je savais que je serai hospitalisé "). Je la supplie presque - mais il est déjà trop tard : mon dossier court de mains en mains - de me confier mes bilans, mes radios et ses commentaires pour que j'aille à la Pitié par mes propres moyens en profitant des derniers rayons du soleil, que j'avance dans les rues en de grandes enjambées exaltées, ma maladie sous le bras, timide construction encore (photos, lettres, suites de chiffres), dans une lumière bientôt rose et que je repousse un peu l'inéluctable, que je puisse me répéter à l'infini, jusqu'à ce que je comprenne, jusqu'à ce que ce soit une évidence, triste, affolée puis presque apaisée : je suis malade. Refus obstiné. Tout juste ai-je droit d'aller acheter des cigarettes et quelque chose à manger avant qu'une ambulance ne m'emporte.

[...]

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