dimanche 9 mai 2010

L'enfance de l'autre

Regarder les photos d'enfance de mes amis adultes - ceux que je n'ai pas connus à l'âge des pantalons courts - est toujours une expérience étrange en ce qu'elle pose des limites incertaines.

L'impression de familiarité est chaleureuse : on reconnaît les traits et l'on essaie de deviner, dans la physionomie ronde et si peu marquée encore par la personnalité, ce qui fera l'amitié et le plaisir de voir arriver, au détour d'une rue, ce visage agréable.

Distance infranchissable également, et un peu douloureuse : tout ce que l'Autre a bien voulu nous dire de lui, de son enfance, est là, dans le décor étroit de la photographie, mais surtout hors cadre, ce qui a fait l'autre avec sa mémoire et ses sens, agglutinations invraisemblables et à jamais hermétiques.

J'éprouve souvent de la tendresse en regardant ces frimousses figées dans une mémoire qui n'est pas la mienne - quelle fut la joie à porter cette panoplie d'indien ou de princesse ? Quelles histoires à soi racontées ? Et quel est l'ennemi imaginaire vers lequel on brandit l'épée en plastique ? A qui est adressé ce sourire ? Tendresse mâtinée de nostalgie à l'égard de l'enfance, le lieu véritable de la mémoire (comme le dit, mieux, Pontalis). J'ajouterais : des étés qui n'en finissent pas, d'un monde qui s'arrête encore au regard avide de couleurs, de textures et d'aventures.

1 commentaire:

  1. Ne peut-on reprendre ton dernier paragraphe, au moins, lorsqu'on regarde une photographie de soi-même enfant? L'impression d'"étrangeté" n'est pas moindre et se souvient-on aujourd'hui, adulte, du hors-cadre et de ses secrets?
    Toi aussi, tu aimes donc Pontalis?
    Écrit par : calystee | 10 mai 2010
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    > Calystee : Mais cher, c'est grâce à toi que j'ai lu Pontalis... Disons que je ne connaissais de lui que le célébrissime Vocabulaire de la psychanalyse, écrit avec Laplanche et que tout étudiant de psycho se doit de posséder ! J'ai eu en tout cas beaucoup de plaisir à le lire.
    Pour ce qui est de la mémoire de sa propre enfance... je ne sais pas. Comme beaucoup de gens, j'ai l'illusion d'en avoir des souvenirs précis et à peu près justes (rien de plus improbable, je sais bien). Suffisamment, peut-être.
    Écrit par : christophe | 11 mai 2010
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    Regarder une photographie de soi enfant, c'est une dégragmentation à la fois intégrale et partielle. On court-circuite le moment où les fragments se dissocient (expérience angoissante s'il en fut) pour parvenir directement de l'autre côté du miroir, à un autre moi qui fut moi mais ne l'est plus tout en l'étant encore.
    Les fils existent encore, mais le couloir qui conduit à cet autre moi-là est condamné. Plus besoin de tâtonner, de se dissocier. Contrairement à l'autre vérité qui nous donne le vertige ("si c'est ben moi, là, dans le miroir, pourquoi est-ce que j'ai cette sensation de devenir autre?") cette impossibilité-là est rassurante : "Oui, j'ai existé, oui, j'ai été ainsi. Non, ce n'est plus moi. Non, je ne 'me' regrette pas. Oui, je m'aime bien. Je sais que je ne bougerai pas de là, sur le papier glacé"
    Écrit par : Lancelot | 11 mai 2010
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    Regarder les photos d'enfance de l'autre, c'est comme lorsqu'il nous raconte un souvenir: c'est une image à la place des mots, mais c'est un peu pareil. Lorsque l'on nous raconte une histoire, il faut prendre ce que l'on veut bien nous donner. Une image, à mon sens, fonctionne de la même manière : qu'accepte-t-elle de nous dire? que nous révèle-t-elle? Il y a bien sûr, une source de frustration: découvrir une part de l'autre, c'est peut-être accepter que l'on ne saura jamais tout...
    Écrit par : Samuel | 17 mai 2010
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    > Lancelot : Je ne suis pas certain de t'avoir parfaitement suivi. Reste qu'effectivement, la continuité entre ce que l'on a été et ce que l'on est n'est pas garantie. On est là, sur papier glacé, avec un monde complet autour de lui, des pensées propres à son âge, et l'on sait que celui-là tenta de deviner celui que l'on sera - parfois même il essaya de lui laisser un message mental pour plus tard : "dans dix ans, j'aimerais que tu te souviennes de ce que tu penses là, maintenant, de ce que t'évoque ce paysage-là, de ce que ton coeur est fait". Presque impossible.
    Écrit par : christophe | 23 mai 2010
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    > Samuel : Oui, c'est très juste. Accepter que l'on ne saura jamais tout. Je n'aime pas les expressions "tu me connais !" ou "tu sais comment je suis !"
    Écrit par : christophe | 23 mai 2010

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