Nuit du jeudi au vendredi (17-18 mars), 2 heures du matin
J’ouvre les yeux et regarde l’heure sur
mon portable : 2 heures du matin. Dans ma poitrine, un poids terrible
(est-ce que j’étais si mal placé que cela pour dormir ?) et, quand
j’inspire, la sensation d’inhaler un air terriblement froid, et rare,
comme si j’étais dans une matinée de très haute montagne. Je m’assois
sur mon lit et essaie de respirer tranquillement. La douleur s’estompe.
Mais, sitôt allongé, elle revient, plus forte, et de plus en plus, à tel
point que rien ne semble pouvoir l’apaiser, ni la position assise, ni
le calme que j’essaie de conserver.
Je me résous à appeler le 15. Mon
interlocuteur, après la description des symptômes, me demande si je fais
souvent des attaques de panique, ne cache rien de ses soupçons,
lesquels percent d’ailleurs dans son ton agacé, à tel point que j’entends presque,
dans sa voix, l’accusation la plus pénible qui soit lorsque vous sentez
votre détresse croître : « Êtes-vous bien certain de vouloir nous faire
déplacer ? Vous connaissez l’histoire de Pierre qui criait au loup ? »
- Mais pourquoi respirez-vous comme cela ? Essayez de vous détendre ! Respirez calmement !
- Je respire comme cela, parce que je ne peux pas faire autrement !
Tout de même, il finit par m’annoncer qu’une équipe va arriver.
Je me rhabille et commence à arpenter la
pièce, incapable de me calmer. J’ouvre en grand la porte de mon
appartement, guette leur arrivée, allume les lumières du couloir de
l’étage, tend l’oreille, rentre chez moi. En passant, je me demande si
je ne vais pas crever là, ce soir – après tout, pourquoi pas. Je
commence à rassembler les affaires dont je pense avoir besoin à
l’hôpital – car il ne fait aucun doute pour moi qu’ils vont m’y emmener –
et m’assois sur mon lit.
À leur arrivée, ils me reposent les
mêmes questions. Me demandent où j’ai mal. « Et dans le bras, non ? Et
dans la mâchoire, non ? ». Mais non ! Je respire mal et j’ai mal dans la
poitrine.
Ils me font allonger – non sans m’avoir
demandé si je dormais souvent tout habillé – prennent mon pouls, ma
tension, ma saturation, échangent de longs regards interrogatifs,
soupirent, reposent inlassablement les mêmes questions – mais qui sont
ces guignols ? – et finissent par contacter un médecin pour lui donner
quelques infos, les constantes : « et il transpire pas mal » (l’un d’eux
m’essuie le front avec la serviette posée par terre, à côté de ma tête
de lit : ma serviette à foutre ! Je prends le temps d’en rire
intérieurement). Celui qui est au téléphone me demande si j’ai des
antécédents médicaux.
___
Je
me demande comment je réagirais si l’on m’annonçait la survenue d’un
second cancer. Car j’y vois une sorte de règle immuable de cette
maladie, soit qu’une cellule cancéreuse survivante attend patiemment de
jouer sa partition – et avec quelle férocité ! –, soit que le corps lui-même s’abandonne à une autre cancérisation par lâcheté, par épuisement, par réflexe pavlovien.
J’imagine
toujours ce second cancer plus agressif, comme s’il avait une revanche à
prendre, bien loin en tout cas – quant à la thérapeutique requise,
notamment, de ce gentil petit Hodgkin qui me laissait certes épuisé, un
goût de métal dans la bouche que rien ne pouvait rincer, révolté, trahi
même, mais avec de très enviables statistiques concernant mes chances de
guérison.
Quelles
seraient mes forces d’opposition à la médecine et aux traitements
proposés, avec la crainte d’atteindre un stade de conscience à ce point
altérée que je ne puisse plus simplement m’enfuir et…
___
Mais oui, nous y voilà, c’est donc cela,
je le comprends en répondant soigneusement « maladie de Hodgkin traitée
par chimiothérapie ABVD et radiothérapie thoracique, 36 grays ». Je
comprends seulement ce qui m’arrive : je suis en train de faire un
infarctus, conséquence fâcheuse mais prévisible – sinon prévue – du
traitement de mon Hodgkin.
Il raccroche : « le médecin arrive ».
Et il – ou plutôt elle – arrive en
effet. Fini l’amateurisme : on me branche des électrodes sur le torse,
on me fait avaler un cachet (anticoagulant ?), on me file de la
morphine. « Il y a des aberrations électriques ». Elle me demande où
j’ai été traité pour mon lymphome. « Ok, on va essayer de vous faire
admettre à la Pitié. »
RépondreSupprimerComme je hais cet instant où il faut décréter que nous avons affaire avec un patient rentable !
Écrit par : Kab-Aod | 12 juin 2011
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juste un gros bisou. comme je comprends cette sensation où tu sens que tu ne respires plus. oui, batailler avec les médecins, nous aussi pour l'AVC, on a voulu me faire rentrer chez moi après une conversation téléphonique au CCML qui me suit déjà je leur en veux encore. heureusement un aide soignant a dit "non pas question que vous rentriez chez vous dans cet état". et l'hôpital réputé qui refusait de me prendre "on ne connait pas les cardiopathies congénitales graves" heureusement on connaissait quelqu'un qui travaillait dans le service, ma mère l'a appelé (je ne parlais plus) et oui! ouf! alos que c'était "non" à ma cardio de l'HEGP.
je t'embrasse fort. ouf, tu es suivi dans un bon hôpital mais oui c'est si difficile de s'y faire admettre.
Écrit par : Juliette | 12 juin 2011
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> Kab-Aod : Et pour rebondir sur la notion de "rentabilité", j'ai envie d'ajouter, avec beaucoup de mesquinerie, que si je divise le coût de l'opération (j'ai reçu la facture quatre jours plus tard) par le temps qu'elle a duré en tout (je suis arrivé à l'hôpital à presque 4 heures du matin), le coût horaire s'effondre... Si j'aurais su, j'aurais pris un taxi.
> Juliette : Oui, il y a vraiment des situations hallucinantes.
Écrit par : christophe | 12 juin 2011