dimanche 12 juin 2011

Journal d'hospitalisation VII

26 avril 2011

Il y a quelques mois, au cœur de l’hiver, épuisé physiquement et moralement, interrogeant inlassablement ma rupture avec O., n’interrogeant pas moins la souffrance probable que m’infligerait * après tous ces mois de badinage amoureux, hésitant à consulter, pressentant que je ne parviendrais de toute évidence pas à pousser la porte d’une psy-, j’avais réalisé à quel point j’avais tenté de neutraliser, toutes ces années, l’expérience Hodgkin dont je ne parlais guère que lorsque j’évoquais M. et les douleurs ressenties au moment de son départ pendant mes soins, abandon jamais complètement dépassé, trahison sans traître.
Je le disais à l’époque – et je le pense encore : je ne voulais pas que mon image soit altérée par la maladie, je ne voulais pas qu’elle crée d’horizons d’attente… Je ne voulais pas de métamorphoses, de challenges imbéciles (l’escalade de l’Everest ?), sans bien savoir d’ailleurs si je ne les voulais pas ou si je ne les pouvais pas… à cause de… je ne sais pas comment appeler cela… inhibitions peut-être, plus anciennes et qui résistèrent parfaitement, quant à elles, à la maladie.
Quoi qu’il en soit, le cancer m’est revenu en pleine gueule avec cet infarctus et, pire encore, avec la menace qui a duré 24 heures d’une récidive qui m’ôtait de la liste d’attente.
C’est ce que je dis, les larmes prêtes à me monter aux yeux (avec une auto-complaisance quant à mon sort qui m’énerve et dont je me venge en l’évoquant ici), à la psy venue me voir après la greffe, en lui expliquant que je me suis senti trahi pour la seconde fois par mon corps. La première fois, il y a dix ans, lorsqu’il a réagi de façon complètement disproportionnée au virus d’Epstein-Barr (lequel est semble-t-il à l’origine de la maladie de Hodgkin) ; la seconde fois, lorsque mon cœur m’a semblé vouloir « se tirer » de mon corps.
J’écris cela en feignant de n’être qu’une victime, mais peinant tout de même à dissimuler cette simple évidence : j’ai très largement l’impression d’une distance infranchie, certes culturelle, mais indéniablement renforcée par mon histoire personnelle et familiale, entre mon esprit et ma carne, le premier n’habitant parfois qu’à grand-peine la seconde. En vieillissant, la sensation de discontinuité si souvent éprouvée autrefois s’est nettement estompée, mais se produit encore, et je me dis parfois que mes problèmes de santé ont pu germer – non pas naître – dans cette distance que par ailleurs je crois bien ne vouloir réduire pour rien au monde, par entêtement peut-être (ne pas céder à la carne), par conviction de l’irrémédiable également : quelque chose a échoué et c’est ainsi, et les trahisons du corps, ces deux trahisons massives qui préparent peut-être déjà la troisième, me disent que nous avons déjà été trop loin.
Depuis l’opération, j’ai perdu vingt kilos, à tel point que j’ai retrouvé le poids de mes 17 ans. Que la chair s’efface un peu, même momentanément, me plaît. Si je voulais bien assumer mes propres invitations à la vengeance, je le réduirais encore davantage.

2 commentaires:

  1. et moi je te préfère avec un peu plus de chair. t'es plus séduisant même si ma maman te trouve très beau ainsi. mais je te comprends. mais faudra qu'on parle.
    je t'embrasse fort et ne te met pas trop à distance de ton corps. il se rappelle toujours à nous. moi qui voulait l'oublier, tu vois où mon corps me mène. dans des zones que je ne souhaite à personne. prends soin de lui, de ce qu'il te dit. ah les trahisons. je t'embrasse fort. j'ai hâte de te voir en juillet pour discuter à la cafet' d'un hosto.
    je lis michel onfray. il est question du corps. je t'en parlerai.

    Écrit par : Juliette | 12 juin 2011


    Étrange résonance...
    Vous me faites souvenir d'un billet écrit il y a longtemps sur un ancien blog, qui parlait aussi de cet étrange rapport en moi entre le corps et l'esprit.
    Je n'ai pas la faculté que vous avez (et je vous en félicite) de poser les mots. Je me sens souvent obligée de passer par la dérision, l'humour, enfin appelez ça comme vous voulez *sourire*
    Enfin si ça vous intéresse, j'ai retrouvé le billet et posé chez moi.
    ps : le pique nique est prêt, venez nombreux ! (rires)
    Écrit par : Caly | 12 juin 2011

    Sur le fond et sur la forme ces posts sont vraiment bouleversant, pas grand chose d'intelligent à dire mais je te souhaite vraiment bon courage
    Écrit par : joce | 12 juin 2011

    > Juliette : Mais le pari du corps est perdu d'avance. Je ferai des concessions (si c'est ça qui t'inquiète), mais ne lui sacrifierai pas tout. Et ce n'est pas toi qui me diras le contraire...

    > Caly : Je vais aller voir cela. Pour le pique-nique, oui, venez - et si possible avec des aliments peu recommandables !

    > Joce : Merci beaucoup.

    Écrit par : christophe | 13 juin 2011

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  2. Lecteur occasionnel de ce blog et commentateur encore plus rare, j'avais bien vu le communiqué d'avant hospitalisation, sans trop m'en inquiéter. Et puis un de tes commentaires chez la Plume m'a ramené ici, ce qui m'a permis de voir l'extrême gravité de ce qui t'est arrivé depuis mars. Je suis très imprssionné et ému par tout ce qui t'est arrivé, en tout cas plus que je ne l'aurais imaginé. Cela est en effet très angoissant, d'autant que j'ai l'impression que tu as affronté tout cela dans la plus grande solitude (ce qui me touche au plus haut point car j'ai longtemps cru que je risquais un jour de finir seul abandonné à mon propre sort à l'hopital). Et puis ces explications sur le fait de rechercher les courants d'air, l'oxygène me rappelle une de mes angoisses lorsque j'étouffais suite à un choc anaphylactique alors que je respirais l'oxygène à plein naseaux. Ce qui m'était arrivé n'était pourtant que de la douce rigolade par rapport à ce que tu as vécu.

    Que dire de plus, moi qui te connais peu ? Eh bien si : prends bien soin de toi et que cela aille de mieux en mieux. Et même très bien le plus vite possible.

    Écrit par : Cornus | 13 juin 2011
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    > Cornus : Bonjour et merci pour tes encouragements. Oui, je pense que ça va aller... Il me tarde juste de voir s'accroître mon autonomie.
    En tenant ce journal, j'ai essayé de coller au plus près de ce que j'éprouvais et j'espère avoir évité le plus souvent de trop tomber dans le pathos - comptant sur ma seule distance "naturelle" aux choses et mon étonnement ("est-ce que c'est bien à moi que tout cela arrive ?"). Par contre, je tiens à lever un malentendu : même si je n'en parle pas, j'ai été extrêmement entouré durant ces trois mois. Par ma famille, d'une part (mon père en a même profité pour rattraper trente ans de distance), et par mes amis (Julietta et Sandrine, pour ne parler que d'elles, était quasi-quotidiennement présente, et j'ai senti énormément de chaleur chez les autres, même lorsqu'ils ne pouvaient pas venir). J'évoque peu les uns et les autres, sans doute parce que ces billets étaient rédigés en soirée, lorsque je me retrouvais seul (avec mon palpitant peu palpitant).

    Écrit par : christophe | 13 juin 2011
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    Aucune forme de pathos dans tes propos que je trouve au contraire formidablement bien sentis, relatant une "expérience" fort peu commune. Être en quelque sorte son propre spectateur aide sans doute un peu à surmonter les événements.
    Quant au malentendu, désolé, je n'avais pas saisi et effectivement ces premiers épisodes de solitude apparente ont fait écho en moi sur ma situation ancienne de célibataire loin de sa famille et de ses amis (même si j'avais plus d'amis à proximité que je ne l'imaginais).
    Bon courage pour la suite.

    Écrit par : Cornus | 14 juin 2011

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