vendredi 24 juin 2011

Journée ordinaire de contrôle

‘Tain, je manque de glisser dans ma baignoire : manquerait plus que ça, que je m’ouvre le crâne après avoir autant coûté à la collectivité. Bonjour le retour sur investissement !
- Et de quoi il est mort ? Un rejet fulgurant ?
- Non il a embrassé la baignoire avec son front.
- Ah ouais ? c’est con ça ! Faudra dire autre chose aux gens… On a pu récupérer des organes ?
- Juste ses faux-cils tout collés sur un vieux bout de nougat, au fond d’un tiroir de son armoire à pharmacie.
Combien de temps avant qu’on me retrouve tout sec (l’eau était coupée) ? Ma mère m’appelle tous les deux jours, mon père tous les trois jours. Les Juliette’s seraient sans doute les premières à donner l’alerte.
Sur le site Internet des taxis H8, soi-disant (ouais, c’est ça) aucun taxi conventionné disponible dans mon quartier entre 6 h 30 et 7 h 30 : on croit rêver. Comme si ça les dérangeait vraiment de m’en envoyer un depuis Montrouge avec déjà 25 euros au compteur ! Les taximan finiront dans un enfer digne de Bosch. Du moins je l’espère. J’erre sur les grands boulevards, hèle tant que je peux, peste après mon leadershiplessness. J’essaie de commander un taxi I9 par téléphone – même pas conventionné cette fois : « Aucun taxi n’est disponible dans votre quartier ». Ouais, et mon c**, c’est du poulet ? Alors pourquoi je vois un taxi J10 stationné devant l’ex-Scorp’, dont le conducteur feuillette distraitement un vieux Lui des ’70 ?
- J’t’emmène où tu veux trésor. T’aurais pas du nougat ?
- Suivez cette ambulance qui manifestement fonce vers l’entrée des artistes de la Pitié-Salpêtrière ! Et coulez-moi ce porte-avions !

Arrivé deuxième en consultation, tous les espoirs sont permis : si TOUT se passe bien, je peux espérer en repartir vers 14 h. Le pied.
Check-list :
- Prise de sang : aucune difficulté. Avec un peu de chance, je serai même pas obligé d’y retourner après-demain parce que le sang aura coagulé (cas de la dernière fois).
- Petit-déjeuner sur place : correct. Deux biscottes. Un chocolat chaud industriel. J’entame mon marathon « potomaniaque » visant à me fluidifier le sang au maximum.
- Tension un peu élevée : l’infirmier me demande si je suis énervé ou angoissé. « C’est pas exactement ça, chéri. » Il a un divin accent slave. C’est le seul cas où je pardonne à un poilu de ne pas être brun.
- Électrocardiogramme : parfaitement normal. Le problème, c’est l’arrachage des électrodes. En plus, l’hirsutisme est un des effets secondaires du Néoral. Faudra que je songe à me raser le torse. Surtout que je ne suis pas brun et que j’imite aussi bien l’accent slave que Michel Leeb l’accent chinois.
- Retour en salle d’attente : j’attaque mon deuxième litre de flotte. D’autres patients commencent à arriver. ‘tain, voilà l’autre qui me colle toujours, qui gagnait 5 000 euros par mois, qui pense que tous les fonctionnaires sont des feignasses, qui va s’acheter un appartement en Floride (véridique). Trop de greffés et pas assez de caïmans. Et toujours pas de nougat. Tiens, c’est quoi ce truc qui me tourne autour ? Un moustique espagnol ? Bah dis donc, ça fait déjà une heure que j’en suis le ballet aérien !
- Biopsie un peu plus douloureuse que d’habitude, mais dieu merci pas au point de faire descendre l’anesthésiste psychopathe qui brutalise tout-à-trac patients, infirmiers, autres médecins. Les initiés le reconnaîtront. Pas moi : je ne l'ai jamais vu, mais j'en demande une description, afin de pouvoir le repérer. "Il est haut comme ça et il marche comme ça", me fait l'interne. Ca les fait rigoler.

Bon là, je vais écourter : retour en salle d’attente. En théorie, il ne me reste plus que la radiographie du thorax (j’en suis à combien de grays, moi, depuis le mois de mars ? Et ce cancer des poumons à petites cellules, ça avance ?) à faire une heure après la biopsie, histoire de vérifier que le sécateur n’est pas resté sur le cœur, qu’un poumon n’a pas été perforé, que je ne fais pas d’hémorragie interne – j’en passe et des meilleurs –, puis l’échographie cardiaque qui accompagne l’entretien avec le cardiologue et la redéfinition des dosages…
Et là, c’est le drame : les toubibs partent déjeuner et j’apprends qu’ils enquillent avec une réunion de staff…
Dans la salle d’attente et dans le couloir où certains préfèrent rester bien visibles, dès fois qu’on les oublierait, des vapeurs d’anti-rejet commencent à se dégager de la sueur des patients et les font complètement délirer : l’hôpital public en prend pour son grade ! Je déteste ces conversations de café du commerce où chacun y va de son anecdote. Comme je suis beaucoup trop lâche pour gueuler que je suis fonctionnaire aussi et que je les emmerde, je me contente de soupirer bruyamment en posant mon bouquin sur mes genoux, sur l’air de « C’est pénible pour tout le monde, siouplè, pourriez-pas parler moins fort ? ». Une heure passe, puis deux, puis trois... puis quatre... Je reste tout sourire quand je vois passer une infirmière : je ne veux surtout pas me retrouver avec un tampon "connard" sur la couverture de mon dossier médical.
Que disais-je ? Ah oui, écourter.
Donc :
  1. A priori tout va bien cette fois encore (mais les résultats de la biopsie ne seront disponibles que vendredi).
  2. On me diminue certaines doses de médoc’
  3. J’obtiens l’autorisation de pouvoir aller au CCN de Saint-Denis en RER et non plus en taxi, à condition d’éviter les heures de pointe et de m’équiper. Je vais être coquet avec mon masque (et mes faux-cils), mais qu’importe puisque (message aux potentiels lecteurs bossant à la CPAM) je n’ai toujours pas ma prise en charge à 100 % et que ces taxis commencent à me coûter la peau des fesses ! Décidemment, plus rien ne fonctionne dans ce pays et c’est déjà heureux qu’on ne se livre pas au cannibalisme…
Bref, il fait beau… Je quitte le service vers 17 h 30. J’ai eu le temps de terminer Ondine, de La Motte-Fouqué, une petite pâtisserie du début du XIXe siècle, et j’ai bien entamé L’Histoire des maisons hantées, de Stéphanie Sauget. Il fait beau et je repars à pied chez moi, tranquillement, à mon rythme, marche entrecoupée d’une halte dans un café de Saint-Mich’. J’aime bien l’odeur de Paris quand il fait beau après la pluie. Je mangerais bien du nougat.

1 commentaire:



  1. http://www.youtube.com/watch?v=L8ejnv15bPk

    ;) A bientôt Christophe, super article!

    Écrit par : Georges | 24 juin 2011
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    c'est quoi la musique ?? j'ai écouté le podcast pensant que tu avais mis "le nougat" de brigitte fontaine (ton billet m'y a fait pener) et non! dis, tu vas pouvoir écrire la suite des chroniques de san francisco. paraît que le tome 8 que je lis est son dernier. bises pas dans la baignoire. gare à ton crâne. et la baignoire c'est pas un beau mec, he! va pas l'embrasser en te fracassant le crâne ou t'as l'amour vache, comme feu mon chat avec mon bras et le tapis en mouton (cadeau de ma frangine adopté par le chat. c'était sa copine le tapis et mon bras gauche à l'occasion de certaines exaltations)
    grosses bises

    Écrit par : Juliette | 24 juin 2011
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    Un compte rendu aux poils!

    Écrit par : calystee | 25 juin 2011
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    C'est un peu horrible, se sentir coupable en prenant autant de plaisir à te lire.

    Écrit par : joss | 25 juin 2011
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    > Georges : Merci ! Et merci aussi pour le clip de Brigitte revu avec plaisir.

    > Juliette : La musique, c'est Spanish Flea (= puce, mais j'ai préféré l'évoquer en en faisant un moustique), un standard américain des '60, ici repris en version instrumentale par Herb Alpert. J'ai fait des clins d’œil à Brigitte Fontaine et au Nougat, parce que c'est ce que j'étais en train d'écouter au moment de manquer de tomber.

    > Calystee : Et même, comme dirait un anglophone, un "tribute" aux poilus !

    > Joss : Mais non, mais non. Un moment de culpabilité est vite passé !

    Écrit par : christophe | 25 juin 2011
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    ah donc j'avais pas tout faux avec le lien à brigitte et son nougat. et le jour même ma maman mangeait un nougat glacé en dessert chez aurélie du bistro de la mer. où j'ai enfin goûté aux délicieuses huîtres de pénerf. gros bisous
    je connais pas du tout cette musique des années 60. sympa!

    Écrit par : Juliette | 25 juin 2011
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    J'ai directement pensé à notre amie Brigitte en lisant cet article....J'aime beaucoup cet article !!
    J'ai mis pas mal de temps, par contre, pour réaliser qu'il s'agissait d'un article qui relate une journée veridique. Cela sans doute du fait de la conversation du début qui est imaginaire : "et de quoi il est mort..."

    Tu peux donc reprendre les transports? C'est cool, ça a été plus rapide que les prévisions initiales, non?

    "Il a un divin accent slave. C’est le seul cas où je pardonne à un poilu de ne pas être brun.".....ce petit passage, entres autres, m'a fait beaucoup rire hihi

    Écrit par : Fayçal | 26 juin 2011
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    t'es devenu l'homme qui valait dix milliards mon pauvre christophe. va pas bêtement te fracasser le crâne. je garde tes os en reliques! et un organe!
    bisous et bon dimanche. que calor!

    Écrit par : Juliette | 26 juin 2011
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    > Juliette : Dix milliards ? Mieux que Steve Austin ? Whaou ! (Avant ou après dévaluation ?)

    > Fayçal : Tout est presque vrai... Pour les transports, disons que c'est une tolérance de leur part, parce que ce n'est que quelques fois dans la semaine, parce que j'aurai un masque, parce que c'est le RER et pas le métro, parce que le trajet n'est pas long, parce que mes globules blancs ne sont pas trop dans les choux ces temps-ci, etc. :-) Si c'était moins loin, j'irais à pied, mais j'ai du mal à dépasser les six kilomètres pour l'instant...

    Écrit par : christophe | 28 juin 2011

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