Mes voisins du 9e arrondissement. Il y aurait beaucoup à dire sur les poussettes, massivement sur les trottoirs le samedi matin, de plus en plus volumineuses – à mesure que je vieillis et que je deviens grincheux ? Pas vraiment, au lycée déjà, nous étions quelques-uns à vouloir nous en débarrasser. De plus en plus volumineuses, donc, à croire que c’est pour plaire aux pères, amateurs dans le cas présent comme en d’autres de belles cylindrées. Certains d’entre eux les tiennent d’une façon tout à fait stylée : ils les poussent négligemment d’une main, la droite, posée sur la poignée gauche. Est-ce là une façon pour eux d’inventer une nouvelle forme de conduite qui les distinguerait techniquement de la gent féminine ? Des fois que. Ou pour avoir l'air encore plus cool au cas où ils croiseraient les copines de leur grand fils ?
Les pères vieillissants, mais toujours fringants, des hauteurs de l’arrondissement – cheveux grisonnants mais rebelles, Converse « taxées » au grand fils (la cool-attitude, c’est justement de les leur taxer en disant : « Vas-y, prête-les à ton vieux reup’ »), s’occupent le samedi matin du petit dernier – Kiel, Gaspard ou Léon – c’est-à-dire qu’ils l’installent en terrasse sans même le sortir de la poussette, pour y lire leur Libé ou leur Inrock’, histoire de ne surtout pas être pris en défaut. Jusqu’à dimanche, ils avaient « mal à leur gauche » : Hollande, trop mou, Mélenchon, trop dur... Qu’il est difficile de renoncer à ses vieux principes hérités du lycée pour avouer vouloir protéger les biens acquis : le loft et la maison de campagne, les vacances en Afrique, chez « les vrais gens ». J’en ai même surpris un qui prétendait au téléphone voter Mélenchon et, à l’occasion d’un second coup de fil, rassurait son interlocuteur : que personne ne s’inquiète et mieux valait encore Sarkozy.
De temps en temps, entre deux bouchées de leur tartine ou de leur croissant du samedi matin, celui-là jette un coup d’œil à son lardon, la chair de sa chair, le fruit du bonheur et de la maturité, un coup d’œil parce qu’il est soudain pris d’un doute : ouf, c’est bien le sien. Tous les mômes se ressemblent. Plus ou moins.
Il ne sera pas dit que c'est un mauvais père. Tiens, passe une copine à qui raconter – tout de même, quel établissement mal tenu ! – la terrible anecdote de la tartine rassie qu’on lui a servie la semaine dernière et qu’il avait bien espéré ne pas avoir à payer. C’est ce qu’il avait dit à la jeune serveuse qui s’était contentée de le regarder sans répondre, « avec ses yeux de merlan fris… ».
Je m’en souviens, j’étais justement là. Sans doute aurait-il eu plus de crédit auprès d’elle s’il ne l’avait pas mangée aux trois-quarts, sa tartine.
Une jeune femme est là. Derrière ses lunettes de soleil. Elle passe des coups de fil, elle ne fait même que cela. Elle essaie de proposer des rendez-vous à des amis qui ont le mauvais goût d’être occupés. Tout de même, une copine se fait coincer. Elle lui explique avoir passé son week-end à écrire deux nouvelles chansons. Elle en est très contente, dit-elle, ce d’autant que les musiciens qui l’accompagnent ont bien compris ce qu’elle veut dire : « Chacun est moi à sa façon », affirme-t-elle. Faut oser. Quoi qu’il en soit, le premier des textes est manifestement inspiré de son couple qui bat de l’aile (« Je ne vois plus ce qu’il y a de beau dans cette histoire, je ne me vois plus dans le miroir. »). C’est vrai qu’il bat de l’aile : je l’ai entendue, la semaine dernière, faire une scène à son copain (par téléphone) que, malgré tous ses défauts possibles ou probables, je me suis surpris à sincèrement plaindre.
L’autre chanson est pleine des promesses amoureuses d’une nouvelle aventure. Jugez par vous-même : « Prends-moi sans artifice, prends-moi sans dentifrice ». Je n’invente rien. Surveillez bien Youtube.
Mes voisins du 1er arrondissement. Non loin de moi, deux amis pédés, la quarantaine, qui étiolent une conversation que j’espère ne plus avoir à leur âge. L’un des deux explique que son Jean-Charles, au passé de fieffé queutard (il répète « aller voir ailleurs » une bonne cinquantaine de fois), prétend avoir cette fois juré fidélité. Oui mais voilà. Faut-il seulement le croire après toutes ces trahisons passées ? Le type a donc été très clair : « Jean-Charles, tu es un adulte ! ». L’autre opine du chef : « Tu as géré tout cela de façon admirable ! ».
Je crois à un sketch.
L’autre le compare à présent aux victimes de bombardements – rien que ça ! – qui « rebondissent » après le drame. Enfin, ceux qui ont conservé leurs jambes, j'imagine. Ils ont tourné la tête quand j’ai rigolé. Cette fois, je n’ai pas fait semblant d’avoir ri à la lecture d’un sms…
Je crois à un sketch.
L’autre le compare à présent aux victimes de bombardements – rien que ça ! – qui « rebondissent » après le drame. Enfin, ceux qui ont conservé leurs jambes, j'imagine. Ils ont tourné la tête quand j’ai rigolé. Cette fois, je n’ai pas fait semblant d’avoir ri à la lecture d’un sms…