samedi 21 décembre 2013

Et pendant ce temps-là, dans les établissements publics... (partie II)

Bien qu'en étant éloigné de la Réserve pour l'instant, je suis encore de très près ce qui s'y passe et, depuis l'extérieur, l'ubuesque y est plus scintillant que jamais.

Jusqu'à l’an passé, nous avions un directeur pharaon. Il était éructant, impatient, colérique, omniscient, omnipotent et, en conséquence, parfaitement épuisant. La moindre de nos pensées devait passer au filtre de sa suprême clairvoyance. Il fallait batailler sur tout (mais au moins avait-il une indéniable connaissance du droit administratif et de la réglementation). Ajoutons que son très grand sens politique facilitait nettement ses manipulations et ses jeux à trois ou quatre bandes. Il connaissait parfaitement les arcanes ministériels et l'ensemble des acteurs de son champ. Il instrumentalisait volontiers sa garde rapprochée, disant aux uns et aux autres ce qu'ils voulaient entendre, à commencer par des horreurs confidentielles sur leurs pairs. Entre deux savons sévères. Tout cela avait des airs de cours et de fin de règne (et, certains jours, de fin du monde, croyez-moi !) dans une petite baronnie (je renonce à la comparaison antique). On croyait ne jamais voir la fin de ce système délirant (le circuit de circulation des parapheurs vaudrait à lui seul une note), on s'impatientait. Mais quand il est parti, le directeur de la Réserve nous a dit : « Vous verrez, vous me regretterez, et plus vite que vous ne l'imaginez. »
Personnellement, je n'en suis pas là...

Le nouveau directeur est arrivé. Il venait du champ disciplinaire et affichait une bonhomie qui tranchait nettement avec les allures nerveuses et constamment irritées de son prédécesseur. Il a réorganisé la garde rapprochée, l'occasion de notre premier étonnement : ce directeur, nommé par la nouvelle majorité, promouvait en tant que numéro 2 un chef très (très) lié à l'ancienne. Mais après tout, pourquoi pas : on peut espérer que les mérites transcendent les clivages politiques. Sauf que le numéro 2 est question est une espèce de « brutasse » qui a décidé de longue date de faire prendre à l'établissement une voie qui l'éloigne inexorablement de certaines de ses missions pourtant (encore) assignées par décret. Sauf que les orientations qu'il défend vont à l'encontre des valeurs supposées de notre actuelle majorité et, donc, de notre ministère de tutelle.

On a un temps beaucoup craint un audit. Et puis non, la nouvelle direction s'apprêtait juste à établir un nouvel organigramme, proposant d'ailleurs d'associer les personnels. Bah tiens... En clair : 
  • Temps 1 : Il ne faut pas se précipiter, prendre le temps de la réflexion, annoncer que l'on va écouter tout le monde.
  • Temps 2 : Il faut dégager ensemble des priorités d'organisation des réunions de travail selon un calendrier qui reste à définir.
  • Temps 3 : ...
  • Temps 4 : Pour des raisons d'impératifs de calendrier, la réunion est programmée... hier (il était trop compliqué d'associer qui que ce soit d'autre que la direction, mais on a entendu vos espoirs et vos attentes - en sondant vos esprits).
  • Temps 5 : Voici le nouvel organigramme (nous avons dû faire des choix difficiles), mais si vous interrogez votre cœur, vous savez que nous avons raison.
On a en réalité vite compris qu'aux rapports de force, ce nouveau directeur préférait le déni. Quoi ? Quels problèmes ? Tout va bien. Quoi, les agents ? Quoi, les instances paritaires ? Hein ? Réglementa-quoi ? Ayez donc un peu confiance ! Est-ce que quelqu'un qui vous dit ne vous vouloir aucun mal, vous en voudrait, du mal ?

Il y a quelques semaines, le directeur a convié ses personnels à une petite réunion. Patelin (je n'ai jamais vu un directeur de prime abord si sympathique), il nous a annoncé sa volonté de suivre de nouvelles pistes, en un mot, de penser différemment. Et, n'en disant guère plus, il a laissé sa place à un orateur invité qui nous était parfaitement inconnu. Lequel s'est avéré être à la tête d'une fondation qui œuvre pour le bien de la Nation. J’exagère, mais à peine. Pour la faire courte, c'est un grand sensible qui souffre trop pour laisser la France s'enfoncer dans le marasme et il se propose donc d'aider (expérimentalement) la Réserve à relever le défi de la modernité, de l'avenir, du bon sens – de tout ce que vous voudrez, en fait, selon la mode du moment. Pendant une grosse demi-heure, on nous a servi un discours d'une rare stupidité, un mélange de lieux communs, d'idées livrées sans lien et d'imprécations. Tout cela pour conclure qu'il ne fallait être attaché à rien (la fin de la rigolade, c'est maintenant) : ni à son poste, ni à ses missions. Ni à son salaire ? Et de nous citer l'anecdote à la source de tout son système de pensée et de valeurs : en Suède, il a fait la connaissance, dans l'hôtel où il était un jour descendu, d'une femme de chambre qui était également standardiste et cuisinière. En prime une bonne grosse allusion à DSK, mais il n'a pas dit si son lit était bien fait et la bouffe correcte, car l'essentiel n'était pas là : « la fille était super contente ! » Préparez-vous donc à exercer des missions sans en avoir les compétences, pour l’acquisition desquelles on vous fera miroiter une formidable formation qui s’avèrera achetée au rabais. Tout en étant payé pareil (le bonheur, ça n'a pas de prix). Préparez-vous aussi à vous faire détester par les collègues sur les platebandes desquelles vous empiéterez – car on n'est pas dans un petit hôtel de province où bossent trois personnes, alors à moins de drastiquement réduire la masse salariale de la Réserve...

À la fin de son discours, heureux d'avoir reçu la bonne parole, les yeux enfin ouverts, je n'ai pas pu résister : je me suis levé et j'ai entonné un gospel. Nan, en fait, je me suis contenté de suggérer l'idée par sms à une collègue dont j'ai entendu le rire à quelques rangées de là. Tout de même, je me suis levé, j'ai pris le micro qu'on nous proposait – puisqu'on nous autorisait à poser des questions – et je lui ai gentiment demandé qui l'avait fait entrer. Le directeur m'a fusillé du regard (« C'est tout ce qui vous intéresse ? », m’a-t-il demandé – « Non, mais ça, ça m'intéresse aussi. ») Il n'a pas officialisé ce que je savais pourtant déjà : il y a quelques mois, lors d'une instance paritaire, le bientôt numéro 2 (il était alors sur le point d'être nommé) nous avait vanté les nombreux mérites de cette fondation à laquelle il était affilié, justifiant ainsi sa position : TOUT est DÉPASSÉ, à commencer par le principe même des instances paritaires qu’il faut malgré tout se coltiner parce qu’on n’a pas le choix. 

Dans un des textes qui circulent sur internet, la Fondation explique qu'il s'agit d' « évangélisation ». Il y a des guillemets, bien sûr, mais cela en dit long, tout de même sur leur construction du monde. Tout de même, nous devrons y mettre du nôtre pour la réussite de ce merveilleux projet. Le directeur d'ailleurs nous a expliqué que, seul, il ne pouvait rien. « Même Dieu ne peut pas tout », a-t-il dit.

En attendant confess', les conversions, la verroterie, tout le tralala, les choses ont bien avancé : en un mois, on leur a trouvé des bureaux où ils ont organisé une permanence afin de recevoir les personnels soucieux du bien commun. Ils étaient d'ailleurs présents au dernier conseil d'administration, tout comme des représentants du ministère d'ailleurs... On a fortuitement appris qu’une « petite convention » avait été signée.

Je dois dire que l'attitude du ministère a de quoi inquiéter. Silence radio. Dans un premier temps, j'y ai vu de l'aveuglement, mais je crois à présent que nous sommes peut-être face à une troisième méthode de liquidation – pour laquelle je n’ai malheureusement pas encore de nom…

4 commentaires:

  1. Tout cela ne doit pas être facile à vivre... Je sais un peu ce qu'il en est dans certains établissements publics nationaux de ma connaissance .Des décisions politiques d'en haut déconnectées de la réalité, des directions à côté de la plaque... Et surtout de graves incompétences en "management", la caricature de tout ce qu'il ne faut pas faire, si j'en crois les formations que j'ai suivies et des bouquins que j'ai lu. Il y a du boulot. Bon courage pour la suite. Et malgré tout, bonnes fêtes de Noël !

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    1. Inutile de te préciser que je ne suis pas mécontent d'en être un peu éloigné pour l'instant ! Les techniques de management sont assez délirantes (je pense que toutes le sont plus ou moins, mais certaines sont en plus nocives). Et des chefs ! des chefs ! des chefs comme s'il en pleuvait ! Or ça coûte cher les chefs et ce n'est psa toujours très malin... Très bonnes fêtes à toi aussi !

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  2. Je ne comprends pas tout (antiphrase en guise de baume sur la brûlure de mon malheureux intellect en souffrance :) ) mais j'ai quand même une question : quand tu parles de cet intervenant et de cette fondation tu fais allusion à un de ces PPP, partenariat public-privé, très en vogue ces temps-ci ? Alors si c'est ça mon Dieu je vais prier pour votre salut (ben oui quoi, on est en pleine saison de dévotion, je me mets au goût du jour).

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    1. Très chère Plume, tu ne comprends pas tout ? Nous non plus plus qui sommes pourtant à l'intérieur ! Non, l'intervenant n'a pas été recruté dans le cadre d'un PPP. Le PPP a été signé il y a plus de cinq ans, largement dénoncé pour les dérives qu'il allait engendrer. De ce point de vue, nous n'avons pas été déçus... Les PPP étaient très à la mode en GB dans les années 90-2000. Nos voisins anglais en sont largement revenus, mais en France, on est plus malin que tout le monde, hein... Ou alors... A moins qu'il y ait parfois des intérêts mutualisés entre les grands décideurs publics et les très grandes sociétés qui emportent les marchés ?
      A chaque avenant au contrat initial, je ne te dis pas combien ça coûte à la Réserve (et donc à l'Etat, et donc à chacun d'entre nous).

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